• Cette grande épopée de fantasy, prévue pour s'étaler sur de nombreux tomes (dix tomes ?) a démarré avec un brio extraordinaire avec ces deux premiers romans, sur lesquels je me suis jetée avec avidité dès leur sortie, avec l'enthousiasme de la lectrice fan de l'auteur que je suis depuis ses débuts avec "Elantris".

    La traduction française du premier roman (en deux tomes) est imminente, je la présenterai à part dès sa sortie.

     

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                    Éditeur en VO : Tor                                                                  Éditeur en VO : Tor

                        Paru le 24 mai 2011                                                                Paru le 4 avril 2014                                         

                               1258 pages                                                                                   1087 pages            

     

         "The way of kings" :

     

    En attendant patiemment que mon exemplaire parvienne jusqu'à moi, le jour même de sa sortie, j'avais lu les commentaires concernant ce livre sur Amazon.com.

    De nombreuses personnes s'y accordaient pour déclarer que "The ways of kings" était à ce jour le meilleur livre de l'auteur.

    J'avais trouvé alors ce jugement peu vraisemblable : je suis une fan de Brandon Sanderson et à ce titre je craignais un peu, en particulier étant donné le rythme d'écriture très soutenu de cet auteur, d'avoir à subir quelques déceptions, liées à une répétition de schémas, des personnages trop semblables, un monde pas vraiment original.

    Eh bien, pas du tout !

    En lisant les remerciements de l'auteur (oui, j'ai été très consciencieuse, car curieuse de comprendre d'où venait ce magnifique pavé de 1001 pages, riches en superbes illustrations), j'ai compris que les oeuvres déjà parues de l'auteur étaient un peu la partie immergée de l'iceberg. B.S explique avoir réfléchit une dizaine d'années à ce livre, dont le premier jet date de 1993. Ainsi, si quelques familiarités apparaissent avec d'autres oeuvres (une certaine méthode de combat - qui rappelle Mistborn, une catégorie d'oubliés, exploités jusqu'à une mort certaine et proche, les hommes-de-pont - les habitants d'Elantris, 3 personnages très différents, évoluant parallèlement, pour un destin commun - un choix de narration fréquent d'une façon générale), "The ways of kings" à une qualité particulière, une finition parfaite.

    Le monde est étrange, fait de roches uniquement, ravagé très régulièrement par de violentes tempêtes, qui apportent pourtant la vie par les nutriments de l'eau du ciel ; la magie de ces orages permet également de "recharger" les sphères garnies de joyaux - à la fois monnaie d'échange, source de lumière et source d'énergie pour toutes sortes d'artifices créés par l'inventivité des hommes.

    Les plantes foisonnent pourtant, mais des plantes étranges, aux coques pierreuses, dont les tentacules multicolores ou les feuilles savent se rétracter ou se rabattre pour se protéger des ardeurs du vent. Les animaux sont pourvus de carapaces, et évoquent plus des crustacés de toutes tailles et de tout acabit que des mammifères.

    On devine que l'homme, ainsi que les précieux chevaux, doivent être issus d'un passé très lointain, au climat plus clément, ou alors de l'un des pays de ce monde, où les orages dévastateurs n'existent pas, et où les plantes de ne rétractent pas au moindre contact.

    D'étranges formes mouvantes, translucides et de couleur variées, les "sprens", apparaissent régulièrement : il y a ceux du vent, du feu, de la passion, de la douleur, de la pluie, de la créativité, de l'infection des blessures ; de la mort imminente, parait-il même...

    Le thème général du livre est le poids du passé, que l'on croit oublié, noyé sous les légendes, mais qui resurgit comme une marée montante, s'exprimant de curieuses façons : de la bouche des mourants, dans les dessins d'une jeune fille douée et déterminée, dans le courage d'un jeune homme brisé par le destin et dans l'étrange changement de personnalité d'un célèbre guerrier vieillissant.

    À part un prologue et un pro-prologue, ainsi qu'une poignée d'interludes (qui auraient pu être barbants - mais qui sont passionnants, comme de minuscules nouvelles pour certains, distillant une information nébuleuse, tout en croquant le portrait de personnages savoureux), le récit concerne les habitants d'Alethkar. Ce pays est régit par un système de caste, les "yeux-clairs" étant les nobles et les "yeux-foncés" les inférieurs, avec un système d'échelons. Une dernière catégorie complète le tout, les parshmen, serviteurs totalement soumis, presque muets et sans personnalité ni volonté propres.

     Le pays est en guerre depuis 6 ans, depuis l'assassinat du roi par l'Ennemi. Mais la guerre, dans les Plaines Brisées, une très étrange région où le sol rocheux est sillonné de profondes crevasses infranchissables, tourne à la farce. Les Hauts-Prince d'Alethkar sont en concurrence en permanence ; l'enjeu est, plutôt qu'anéantir l'ennemi, de remporter le trophée... Celui-ci est un énorme joyau, présent au coeur des cocons d'effroyables créatures qui sortent parfois des crevasses durant la nuit pour se transformer en pupes sur un des plateaux. Dès qu'un groupe d'éclaireurs signale la présence de l'un de ces cocons, le signal de la bataille est donné, les armées se précipitent de part et d'autre, c'est la ruée vers l'or et la gloire...

     Mais cette progression vers la fortune et l'ennemi ne peut s'effectuer que grâce au sacrifice (involontaire) des hommes-de-pont, qui portent ces immenses constructions, de faille en faille, premières cibles des flèches de l'ennemi. Ces hommes, au rôle pourtant fondamental, puisqu'ils permettent le passage des soldats de plateaux en plateaux, jusqu'au lieu de la bataille, sont quantité négligeable, des esclaves pour la plupart. C'est pourtant parmi eux que finit Kaladin, jeune homme brillant, un "yeux-sombres" (je plains le traducteur !) promis autrefois à un tout autre destin.

     Le deuxième protagoniste, Dalinar Kholin, est un héros parmi les "yeux-clairs", le frère du roi défunt ; il est également l'un des rares de ce monde à posséder l'armure magique - qui décuple les capacités physiques naturelles - et l'épée tout aussi magique - qui apparaît à volonté, dans une brume de glace, dans la main de son possesseur.

    Le troisième personnage principal, Shallan, est une jeune fille subitement arrachée, de sa propre volonté, à son existence protégée de recluse dans la demeure familiale, pour venir s'abîmer dans les études, sous la houlette de la très intimidante Jasnah - soeur du roi actuel.

    En effet dans ce monde (décidément bien étrange !) seules les femmes et les religieux (les "ardents") lisent, apprennent, expérimentent et créent. Les hommes combattent de préférence, ou sont fermiers (récolte des graines des plantes-cailloux, pour faire vite), ou bien artisans.

    Ces trois personnes, aux destins et aux épreuves si différents, vont subir la même révélation troublante, quoique de façon fort différente : ils seront, tout au long du livre, inconsciemment et à leur dépens, le réceptacle de la magie, qui pourtant, aux connaissances actuelles n'"infuse" que les matériaux inertes. D'autres signes inquiétants se multiplient, l'assassin en blanc du roi défunt, être étrange qui tue en pleurant, continue de décimer les hauts-Princes, sous la commande d'un homme de l'ombre. Le monde court à sa perte, et seules quelques personnes en sont conscientes...

    Ce livre, malgré sa longueur, a été très agréable et passionnant à lire d'un bout à l'autre. Le monde, si patiemment imaginé par l'auteur, se dessine peu à peu, les personnages sont minutieusement exposés, touchants et vivants. Les dialogues sont d'une grande finesse, l'intrigue complexe et intrigante, et les réflexions de fond d'une grande sagesse.

    Ce livre est particulièrement abouti, soigné dans les moindres détails. Il mêle humour par touches légères, action, descriptions et dialogues avec justesse et mesure. J'ai retrouvée avec bonheur la retenue de cet auteur, qui sait montrer des réalités horribles et des sentiments puissants sans les imposer de plein fouet à son lecteur, laissant à celui-ci le libre arbitre de son imagination.

    (Il y a tout de même de bonnes descriptions assez gores !... Mais rien d'insoutenable, malgré une réalité fréquemment terrible).

    Neuf autres tomes sont prévus à la suite de "The ways of kings" ! Cela parait bien impressionnant... Toutefois, je me range à l'avis de la plupart des lecteurs de ce livre : il est exceptionnel, et la suite n'a pas démenti mes attentes !     

     

    "The words of radiance" :

     

    "The Stormlight Archive" s'apprête à rentrer dans l'histoire de la fantasy.

    Cette épopée magnifique offre sans doute aucun le profil d'un chef d'oeuvre en marche : la complexité de l'histoire globale, la digestibilité du récit, la brillance de la manière de conter, l'excellence de la psychologie des personnages (c'est une fan de Jane Austen qui vous le dit !), l'enthousiasme, l'imaginativité, la créativité, la personnalité, la maîtrise, la capacité à enchanter, à surprendre, à laisser deviner, le sens du détail, l'art de la suggestion (en particulier dans les descriptions) sont autant de preuves du génie de l'auteur.

    Les illustrations intérieures sont toujours aussi belles ; elles n'ont qu'un défaut à mes yeux : je les aurais aimé encore plus nombreuses.

     Fait inhabituel en ce qui me concerne, je me suis maintes fois surprise à soupirer après un film (enfin une série télé haut de gamme comme on en fait désormais) pour mettre en scène cette histoire en enchanteresse, si vivante, si colorée, si chaleureuse, tellement humaine.

    Si ce livre peut avoir un défaut, c'est celui de réduite à l'état de petit joueur besogneux bien des auteurs de fantasy, même ceux qui ont inspiré l'auteur...

     J'ai toujours d'énormes difficultés à "voir" les histoires qui m'étaient racontées. Il me faut des détails, des couleurs, des reliefs - et pourtant les descriptions m'ennuient dès qu'elles font semblant de s'éterniser.

    Pourtant, dans ces deux romans (j'ai relu le précédent juste avant, pour bien profiter de ma lecture, et bien m'en a pris) les paysages sont extraordinaires. Cette faune et celle flore étrange, cette vie rythmée par les violentes tempêtes, sources de toute l'énergie et l'eau nécessaires à la vie et à la "technique" de ce monde que l'on devine "contre-nature", forme un cadre incroyablement présent, vivant, servi par tous nos sens. Les couleurs en particulier, comme dans toute l'oeuvre de Brandon Sanderson, sont largement à l'honneur. C'est je crois le seul auteur à manifester un attrait aussi vif pour celles-ci, les employant avec maîtrise pour souligner son art créatif.

     Brandon Sanderson est un auteur étonnamment "féminin".

    Sa manière de présenter ses personnages, les relations d'amour et d'amitié qui les lient, l'évolution de leurs psychologies, montre une patte subtile, délicate, chaleureuse - féminine donc ! (pas de "Houuuu" s'il vous plait messieurs ; je sais de quoi je parle et cela ne retire rien à vos viriles aptitudes et au talent des auteurs masculins).

     Il reste "masculin" aussi, n'oubliant pas la baston, les supers pouvoirs, les combats rapprochés, les grandes batailles, les blessures, la mort, la gloire.

    Et surtout peut-être, cet auteur a su garder son coeur d'enfant. Bien que "The Stormlight Archive" soit une oeuvre de fantasy d'allure classique, le récit ne présente pas les caractéristiques habituelles du genre, ses teintes sombres, désespérées, sérieuses... "adultes", diraient certains ?

    Le récit, bien que parfois dramatique, traitant de passés troubles et torturés, des faiblesses humaines, de la mort, de l'injustice, est incroyablement positif, allègre, tourné vers l'avenir, le progrès, la modernité.

    L'auteur s'amuse, certains passages sont vraiment très drôles, les dialogues, toujours contrôlés, sont vifs, spirituels ; la malice affleure sans cesse, dans les réparties, les personnalités, les situations.

    De grands thèmes sont abordés et traités avec justesse et profondeur. Mais l'espoir, malgré la capacité de l'auteur à voir juste, à n'épargner personne, à ne rien négliger des faiblesses humaines, est toujours là.

    Brandon Sanderson est un auteur que je peux lire en tout confort : je sais qu'il ne m'imposera jamais des choses gratuites et intolérables. Son immense talent le dispense d'utiliser les horreurs habituelles du genre qu'il aime traiter - le viol, la torture, la mort de personnages secondaires attachants, etc.

    Les injustices et les événements terribles ne manquent pourtant, pas plus que les morts violentes dans ce monde ébranlé par un changement d'une violence inouïe, nourrie par les faiblesses humaines. Mais rien n'est jamais gratuit.

    De plus, les personnages les plus sympathiques montrent une part d'ombre, nous forçant à les apprécier en toute connaissance de cause... enthousiasme et confiance en un avenir meilleur ne sont pas synonymes de naïveté et d'immaturité.

    Je pense en particulier à un court chapitre d'interlude, qui raconte une petite jeune fille de 13 ans, Lift, brillante, naïve, courageuse, pétillante, qui use de son pouvoir (son "awesomeness") qui lui est tombé dessus sans crier gare, avec tout le naturel et la spontanéité de sa petite personne inéduquée, courageuse - remarquable dans son anonymat. La manière dont sont mises en scène ses étonnantes facultés (le pouvoir de la glisse et de la varappe !), sa relation avec son "Voidbringer" récalcitrant et bougon, la manière délicieuse de raconter cette courte scène, de présenter une poignée de personnages, de faire monter la tension et enfin de clôturer, est tout bonnement admirable.

    Ce chapitre, une pépite, pourrait être un roman à lui tout seul. Brandon Sanderson manie l'art de raconter très longuement, mais aussi de raconter très court, une faculté bien rare...

    Bon, avec tout ça, j'en oublie de parler de l'intrigue.

    Eh bien ça avance ! On retrouve les personnages d'une manière très linéaire, très confortable. Les particularités du monde, de l’histoire ancienne de celui-ci, sont approfondies. Certains mystères se dévoilent, parfois à notre surprise ébahie (l'explication des actions du "méchant" découvert à la fin du tome 1 est incroyable d'intelligence, de créativité et de drôlerie), nous permettant parfois de les deviner à l'avance, ce qui est bien satisfaisant (la nature des Shardblades par exemple).

    La société des Parshendis nous est enfin révélée, dévoilant une réalité très surprenante, que nous aurions bien été en peine d'imaginer et qui offre, d'une certaine manière, une tonalité très SF.

    Les personnages sont de mieux en mieux cernés, évoluant lentement mais avec une sûreté admirable : aucun raccourci facile, aucune faute de complaisance et une justification pleine des actions et de la personnalité de chacun.

    Les personnages centraux sont toujours les mêmes, avec un zoom particulier sur Kaladin, mais aussi Adolin et surtout Shallan, qui est sans aucun doute le personnage pivot de ce roman.

    Brandon Sanderson est un féministe, un vrai ! Au lieu d'attribuer des caractéristiques masculins à ses personnages féminins au nom de la parité, il leur offre une vraie place, un vrai rôle, tout en leur laissant leurs attributs féminins : une prouesse !!

    Shallan est un personnage étonnant. Sa fragilité et sa force, la manière dont elle prend sa vie en main, nous laissant même parfois sur le bord du chemin, ébahis et estomaqués, nous emporte exactement là où l'auteur le souhaitait - ce que nous ne pouvions certainement pas deviner. Pour qui aime les surprises de qualité, c'est admirable et enthousiasmant.

     Kaladin n'est pas en reste : l'auteur n'oublie pas ce qu'il a infligé à son personnage, la manière dont sa personnalité a été forgée par les épreuves, et n'offre aucun raccourci facile pour le faire progresser. Le résultat n'en est que plus exceptionnel.

     Les personnages secondaires et périphériques sont tous admirables de justesse et de précision, touchants, vrais : les non-humains, Syl, Patern, les parshmen, les mystérieux, l'assassin en blanc, Wit, les insolites, les membres du Pont Quatre.

    Les modifications profondes de ce monde ébranlé par la montée en puissance de forces ancestrales, l'apparition de pouvoirs étonnants ("magiques", pourrait-on dire, bien que ce terme ne soit jamais utilisé dans ce monde porté vers le modernisme par ses inventions utilisant l'énergie du stormlight) nous surprennent et nous émerveillent. Les coups de théâtres se succèdent, les relations entre les personnages évoluent d'une manière pas toujours attendue, le lecteur est subjugué.

    Tant de pléthore et de richesse devraient nous embrouiller : pourtant le lecteur est transporté,enchanté, enthousiasmé, mais jamais perdu.

    Une prouesse, vous dis-je !

    Je finirai bien par une ode aux "méchants".

    Dans ce genre d'histoire il faut un méchant, ou même plusieurs ; et si possible des méchants intelligents. Les cataclysmes, les forces de la nature, la Mort, tout ça c'est bien gentil, mais un méchant à détester et surtout à comprendre c'est quand même mieux.

    Brandon Sanderson a un talent (oui, entre autres !) c'est de justifier ses méchants. Ceux-ci sont souvent "de l'autre côté". Leur méchanceté n'est que relative, leurs actions sont logiques, et l'égoïste et la cruauté gratuite ne sont jamais employés pour justifier leurs actes.

    Il est troublant et passionnant de comprendre les motivations de chacun, et l'auteur en profite au passage pour nous faire réfléchir sur un thème pourtant souvent oublié dans ce genre de récit épique : est-il envisageable de faire le mal pour faire le bien ? Où le héros doit-il s'arrêter ? Qu'est-il prêt à perdre de son humanité ? Quand bascule-t-il ?

    Car enfin, quand le livre se clôture, force nous est de constater que nos "gentils" offrent bien des similitudes avec leur ennemis...

    La fantasy "classique" me parait souvent lourde, pompeuse, ampoulée, indigeste malgré ses qualités.

     

     

    Le ton de ces deux milles premières pages de Stormlight Archive est serein, enthousiaste, délicat, d'une force remarquable, d'une justesse étonnante, jubilatoire enfin !

    Parmi les romans du genre, cette série s'inscrit dans les meilleurs histoires que j'aie jamais lues.

    Et parmi les romans en tout genre... aussi.

    Un firmament d'étoiles pour cette double merveille, et vivement le prochain !                                                          

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  • 7113498Les Chevaux célestes

                    Éditeur en VO : Roc                                  Éditeur en VF : L'Atalante

                   Paru le 27 avril 2010                                       Paru le 19 juin 2014

                            573 pages                                                         656 pages

                                                                                       Traduction : Mikael Cabon

     

    "Les Chevaux Célestes" n'appartient pas au domaine de la fantasy, mais plutôt à celui de la "variation historique". Le contexte d'une Chine Impériale d'il y a mille cinq cent ans ans m'a semblé très crédible, malgré mon manque totale de connaissances sur cette période dans cette partie du monde. Ce roman, aux grandes qualités littéraires, fera le bonheur des bons lecteurs, toutes générations confondues, qu'ils soient férus d'Histoire ou tout simplement de bonnes histoires...

    L'ambiance n'est pas celle d'une épopée gigantesque, elle reste très intime, très introspective, sans nuire au rythme de la narration, qui est excellent. Le personnage principal, Shen Tai, est un jeune homme paisible et réfléchi, dont le tempérament se heurte régulièrement au poids des traditions, de son éducation, son enfance, sa famille... Son parcours classique de jeune homme de bonne famille est parfois ponctué d'une décision étonnante, voire même spectaculaire. C'est ainsi qu'il choisit, à ses risques et périls, d'honorer la mémoire de son père en transformant la période de confinement de deuil en une mission de dévouement inimaginable aux yeux de tous.

    Cette décision - de porter secours aux âmes des morts du dernier champ de bataille, qu'elles soient de son peuple ou de l'ancien ennemi - loin de l'exposer à l'opprobre et au châtiment, lui gagne l'admiration sans borne de tous.

    Une princesse de son pays, exilée par le mariage en terre si récemment ennemie, l'honore d'un cadeau qui défie l'imagination, 250 chevaux rarissimes, d'une valeur incroyable.

    Ce cadeau inespéré et démesuré arrache définitivement Tai à son relatif anonymat et l'expose aux turpitudes du monde politique, auxquelles il aurait, sans doute, préféré échapper...

    Dès lors, il doit utiliser son intelligence et les amitiés qui s'offrent à lui de façon souvent inespérée, pour rester vivant, tout simplement. Car tous les puissants dardent un regard concupiscent sur cette horde d'animaux mythiques, la vie du jeune homme n'ayant plus de poids qu'à leur regard.

    Le récit se déroule avec une lenteur pleine de finesse et de réflexions. Malgré le thème épique, la grande majorité du récit ne cible à chaque fois qu'une poignée de personnages : Tai la plupart du temps, mais aussi sa sœur, Li-Mei, au destin contrarié, les puissants de ce monde impérial, et aussi quelques personnages tertiaires, qui donnent une note originale à la trame.

    L'action ne survient vraiment qu'en fin de livre, après un déroulement tout en douceur que je n'attendais pas de ce livre, étant donné le thème de départ.

    L'ambiance est en accord avec la volonté de la presque totalité des personnages de vivre leur vie selon des principes d'harmonie et de traditions, s'épanouissant dans la musique et la poésie. La violence qui surgit parfois n'en est que plus choquante.

    Un importance particulière est accordée à la place des femmes dans cette histoire, mais uniquement celles qui bénéficient de la douteuse bénédiction d'être belles, jeunes et pour certaines, bien-nées.

    Cette aveuglement au sort des autres femmes, si nombreuses, et la fascination pour la séduction - autant naturelle qu'acquise - des beautés de ce récit m'a semblé curieusement naïf. Tai (et l'auteur peut-être également, je me suis posée la question) semble idéaliser la position des courtisanes, alors même que toutes les obligations de leur servitude sont exposées avec délicatesse et empathie.

    J'ai beaucoup aimé ce livre lors de ma première lecture en VO, voici quatre ans, mais je ne l'avais pas adoré, sans doute en raison du cadre historique, qui n'attisait pas particulièrement ni mon intérêt ni ma curiosité, et aussi pour une vague raison d'affinités. Pourtant, le temps écoulé, j'ai envie de le relire, un signe rare désormais - un signe qui souligne la qualité intrinsèque du récit, qui a su laisser son empreinte alors que les détails s'estompaient de ma mémoire, et qui donne sa place au roman sur ce blog de mes "best of".

    Ma seule expérience de l'auteur jusqu'alors avait été Tigane, un roman auquel je n'avais jamais pu accrocher et que j'avais lu péniblement ligne après ligne, page après page, sans jamais être ni émue ni passionnée. Sur des conseils avisés j'ai fait une nouvelle tentative avec "Les Chevaux Célestes" et je n'ai pas été déçue, trouvant dans ce roman toutes les qualités que les lecteurs enthousiastes de "Tigane" avaient notées.

    Pourtant, curieusement, les deux livres ont une ambiance similaire. Mais dans "Tigane" les personnages, sans être stéréotypés, étaient figés, leurs émotions, sans être clichées, étaient convenues, et l'ambiance du livre m'avait semblé bien plate, et sa lecture... poussive.

    "Les Chevaux Célestes" est d'un tout autre tonneau à mon avis, avec une écriture plus mature, et possède une personnalité qui échappait complètement à "Tigane".

    Cette conclusion est bien entendu le fruit de l'analyse que j'en ai fait pour expliquer ma divergence d'opinion entre ces deux lectures, et non pas un jugement absolu !

    Enfin, je n'ai pas encore eu l'occasion de feuilleter ce roman en version française mais, étant le soin habituel apporté par l'Atalante à ses traductions, je pense que la qualité ne peut qu'être au rendez-vous !

     

     

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