• "Le théorème du Homard" de Graeme Simsion

    20561643Couverture de Le Théorème du Homard, Ou comment trouver la femme idéale

         Éditeur en VO :   Michael Joseph                                  Éditeur en VF : Nil

                   Paru le 11 avril 2013                                           Paru le 13 mars 2014

                           304 pages                                                               408 pages

                                                                                          Traduction : Odile Demange

     

    J'ai adoré ce livre, que j'ai lu presque d'une traite et que je relirai avec beaucoup de plaisir.

    C'est d'abord une lecture très drôle, délicieusement cocasse, que l'on imaginerait très bien en excellent film (et tout aussi bien en bouse monumentale, hélas, s'il tombait dans de mauvaises mains). Mais c'est aussi un sujet de fond moderne, celui de la reconnaissance, puis de l'acceptation des différences. Une leçon toute en légèreté sur la notion de la normalité : les gens normaux sont-ils forcément ceux qui sont les plus nombreux à fonctionner de la même manière ?

    Le récit se classe comme une comédie romantique, mais sans céder aux diktats du genre ni jamais sombrer dans la caricature.

    L'élan romanesque m'a également évoqué tous ces récits et histoires d'enfants sauvages, ou de personnes parachutées dans un monde qui leur est complètement étranger, et qui doivent utiliser leur intelligence pour comprendre et se faire comprendre - avec tous les quiproquos et situations burlesques que cela peut entraîner (dans un registre positif bien entendu).

    Le personnage principal est très atypique. Brillant célibataire d'une quarantaine d'an-nées, spécialisé en génétique, Don mène une carrière universitaire exemplaire, à peine invalidée par les difficultés de celui-ci à comprendre les nuances des règles qu'il à tendance à prendre au pied de la lettre. D'un point de vue social, c'est plus difficile, malgré ses efforts. Les autres sont si bizarres, si difficiles à comprendre, à appréhender ! Pour-tant Don essaie sans se décourager, et chérit ses rares amis.

    L'entrée en matière, par une scène délicieusement loufoque, nous donne la clé de la personnalité de Don, alors qu'il donne, pour dépanner un ami, une conférence à des parents d'enfants présentant le syndrome d'Asperger.

    Tout s'explique !

    Enfin, pas immédiatement, mais à travers les rebondissements du récit, alors que Don met à exécution son idée de génie : trouver la femme idéale à travers un questionnaire détaillé.

    L'auteur réussit un exploit, celui de nous rendre infiniment attachant une personne qui sait pourtant si mal, de nature, exprimer l'ensemble des émotions humaines et les déchiffrer chez autrui. Un homme d'une intelligence exceptionnelle, mais aussi très seul et d'une innocence quasi enfantine. A la fois infiniment capable et complètement désarmé.

    D'abord par la logique : vue de l'intérieur, les arguments de Don, pour expliquer comment il organise sa vie (temps hebdomadaire de nettoyage de la salle de bains chronométré), choisit ses vêtements (veste de sport parfaitement adaptée : au travail, aux courses, aux sorties, aux voyages), calcule ses calories alimentaires (en reportant éventuellement les excès d'un jour) sont parfaitement raisonnables.

    Bien sûr, le monde extérieur n'est pas de cet avis et les situations délirantes s'enchaînent.

    Et pourtant, à travers les yeux de Don, la superficialité des conversations mondaines, l'obligation des situations sociales, l'acceptation aveugle des lieux communs nous sautent aux yeux.

    Dans ce roman la personne avec laquelle on aimerait discuter est bien le personnage principal, qui s'intéresse à tout, d'une manière très littérale, shuntant allègrement le superflu !

    Le deuxième effet séduction est que Don essaie si fort que le lecteur s'en retrouve bien humble. Sous prétexte que Don est "hors norme", c'est à lui de faire des efforts considérables pour s'adapter, contre toute logique, s’escrimant à comprendre le comportement aberrant des autres. Ses efforts ne sont pas toujours vains et Don entretient des amitiés, souvent atypiques et toujours rares. Un moment très touchant du livre nous fait part de ses pensées alors que la jeune femme qui l'accompagne vient de réfuter avec désinvolture qu'ils puissent former un couple, en remarquant à la tierce personne que Don n'est "qu'un ami". Don se trouve très heureux de cette déclaration, retenant seulement qu'elle le tienne pour un ami - lui qui compte les siens sur les doigts de la main !

    Le troisième effet séduction est l'effet show off : Don est d'une intelligence supérieure, possède des capacités de concentration, de mémorisation et de volonté hors norme. Et quand il s'attelle à un projet, que ce soit son "Projet Épouse" ou plus tard son "Projet Père", il ne recule devant aucun effort, aucun sacrifice et fonce !

    Le récit semble être une étrange romance, ou non-romance, alors que Don rencontre une (très belle) jeune femme, qui lui semble aussi normale/anormale que les autres, mais qui nous apparaît très vite assez perturbée, en colère, mal dans sa peau.

    D'une manière générale l'une des forces de ce roman, fluide et drôle, est la manière très subtile dont les personnages nous sont présentés à travers les yeux de Don. Procédé courant soit, mais qui prend toute sa force quand le personnage principal possède un profil psychologique décalé. On comprend très bien la logique des actes et des pensées de Don, on devine très vite qui il est et ce qu'il recherche. En revanche le doute persiste longtemps pour les quelques autres personnages qui gravitent autour de lui, dont on ne perçoit que le reflet, à travers le miroir déformé - pour nous, là encore - de son point de vue.

    Bien des caractéristiques fondamentales d'un interlocuteur (attraits physiques, âge, situation socio-économique) qui auraient été présentées d'emblée dans un récit classique, n'apparaissent que très tardivement : l'essentiel pour Don, sont les capacités de conversation "vraie", les centres d'intérêt, le goût pour la discussion de l'autre. Le reste est réellement, à ses yeux, secondaire. Enfin, Don se concentre quand même sur le physique... à travers l'IMC de la personne, qu'il calcule systématiquement, au jugé !

    L'auteur (un Australien, décidément il y a des perles de romanciers de ce pays !) arrive à un exploit : faire rire sur un sujet très sérieux sans jamais le galvauder, avec une histoire rythmée et bien tournée, en mettant en scène une personne hors norme, avec beaucoup de drôlerie et de générosité mais aussi une rigueur sans faille.

    De brillants récits sur des personnalités autres existent, bien sûr ("La vitesse de l'obscurité" d'Élizabeth Moon, "Des fleurs pour Algernon" de Daniel Keyes) mais sont des récits graves, voire tragiques.

    Rien de tel ici ; car si l'histoire de Don est presque douloureuse parfois, l'ensemble est léger, positif et... a son happy ending !

    (remarque : un film est bien prévu, l'auteur s'est attelé à l'écriture du scénario - ce qui est de bon augure ! Une suite va également paraître, dès septembre en Australie, "The Rosie Effect". Là, je suis un peu plus dubitative... ce qui ne m'empêchera pas de me jeter sur le livre, bien entendu ^_^)

     

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