• "L'éducation de Stony Mayhall" de Daryl Gregory

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                        Éditeur en VO :  Del Rey                                                    Éditeur en VF : Le Bélial

                          Paru le 28 juin 2011                                                           Paru le 28 août 2014

                                   450 pages                                                                                450 pages

                                                                                                             Traduction : Laurent Philibert-Caillat

                                                                                                    Illustration de couverture : Aurélien POLICE

     

    Fans de zombies, vous serez servis, anti-zombies, surtout de grâce ne passez pas votre chemin ! Ce livre est un diamant aux multiples facettes, susceptible de retenir l'attention des amateurs de genre, mais aussi des lecteurs de littérature classique, tant par sa forme que son fond.

    L'originalité de la forme du récit tient à ses choix narratifs, choisis de façon éclairée et tenus de main de maître tout au long du roman.

    La trame générale m'a beaucoup évoqué un livre classique, de ceux que je lisais jadis, qui n'avaient aucun élément fantastique mais racontaient la vie des gens.

    Les gens, dans "L'éducation de Stony Mayhall" ce sont quatre femmes, une famille soudée, pas très riche, vivant simplement au cœur de l'Iowa. Une mère et ses trois filles, puis, après une nuit d'hiver, une mère, ses trois filles et son fils adoptif: John - Stony.

    Le récit est conté selon le mode que je préfère, le plus subtil à mon sens : à la troisième personne du singulier, mais focalisé sur la même personne du début à la fin, ici, Stony Mayhall, un des personnages le plus attachant de toutes mes lectures jusqu'alors. C'est ainsi le narrateur qui raconte l'histoire de Stony, depuis sa naissance jusqu'à nos jours. Le narrateur ne fait qu'effleurer le contexte, celui que les lecteurs connaissent et sur lequel il n'est pas utile de s'appesantir, celui de l'avènement des zombies dans notre monde, depuis une quarantaine d'années. Rarement, mais parfois, il prend la parole pour prendre le lecteur à témoin ; cet artifice, utilisé avec beaucoup de légèreté, donne une tonalité très riche au récit.

    Le style est excellent, très fluide, sans excès d'aucun genre et agrémenté de touches de malice à faire rire aux éclats.

    (Remarque : sans rien dévoiler du fond de l'intrigue, j'expose ci-après les premiers temps de l'histoire. Les lecteurs qui souhaitent garder toutes les surprises sont sommés de passer leur chemin et de lire le livre sans délai aucun).

    Le récit commence peu après la première vague, l'horreur est derrière les vivants, bien que le cauchemar ne soit pas jugulé. Les scientifiques ont baissé les bras, ou presque, incapables d'expliquer de manière scientifique cette monstruosité. La seule arme qui leur reste est la prophylaxie sanitaire : chercher et exterminer les zombies qui auraient pu échapper à la vigilance des autorités, par hasard ou parce que cachés par des proches incapables d'admettre la vérité : le zombie est un mort-vivant, ayant perdu toute humanité, qui ne cherche qu'à détruire tout ce qui est vivant d'horrible manière...

    Le décor est ainsi planté rapidement : point de panique, d'émeute, de scènes gores à foison. Et quand ces dernières sont finalement évoquées, le narrateur se retranche derrière la sobriété : "Inutile de vous raconter tout ça, vous le savez déjà". Pas d'héroïsme non plus, chacun a fait comme il a pu et le monde essaye de se reconstruire, lentement.

    Le lecteur fait alors connaissance de Stony, le jour même de sa naissance, une naissance plus qu'improbable, miraculeuse. Ou plutôt... monstrueuse.

    Sans que sa mère adoptive, pourtant médecin, puisse le comprendre, une jeune femme est morte en donnant naissance à un bébé zombie. Et ce n'est qu'en essayant de réanimer le bébé qu'elle avait cru mort puis avait vu, à sa stupeur, bouger, que Wanda comprend la vérité. Trop tard pour sauver ce nouveau-né, qui n'a jamais été vivant, mais aussi trop tard pour le détruire ou le porter aux autorités : le bébé, en quelques heures, fait déjà partie de la famille.

    Stony grandit - de manière très spéciale. Il vit caché aux yeux du monde, à l'exception des voisins, des immigrés Coréens qui lui resteront fidèles et ne le trahiront jamais. La première partie du livre (dont l'articulation est classique, en trois temps pour un rythme excellent) est certainement ma préférée : on y découvre un Stony adorable, plein d'humour et d'auto-dérision et empli d'un amour inconditionnel pour sa famille - qui le lui rend d'ailleurs très bien.

    Son évolution à mi-chemin entre le garçon normal et le garçon mort est une réussite merveilleuse (il ne mange pas, ou alors pour faire plaisir, en mode boulimique-vomisseur, ne dort jamais, ne se fatigue jamais, ne souffre pas et ne cicatrise jamais : "Ils le réparaient comme une poupée de chiffon dotée de trop de valeur sentimentale pour être jetée" - traduction maison, je n'ai pas encore la VF en main !).

    Il a un ami, Kwang, le fils des voisins, sa référence, avec lequel il joue à tester ses limites, il est "The Unstoppable" !! ("L'Imparable" ? L'Inarrêtable" ? ) Une partie du livre est dédié aux comics avec autant de malice que d'à-propos.

    La partie suivante est celle où l'on comprend mieux la vérité en ce qui concerne les zombies, et quelle est leur nature exacte ; non pas biologique, car leur existence sans vie demeure un mystère incroyable, mais leur nature philosophique. Cette partie, pleine d'action et de rebondissements, est sous-tendue par la question de la définition de l'humanité. De nombreux passages sont poignants et l'auteur garde avec beaucoup de rigueur un éclairage de la situation par le biais des yeux de Stony, par sa bonté, son humour et sa générosité. Stony, l'enfant-zombie, a plus l'âme d'un ange que celle d'un démon (en plus, pour un zombie, il est beau gosse ! Oui, parce que les autres sont vraiment zombiesques, défigurés par leur mort violente ou leur passage dans la tombe).

    On y découvre une société très étayée, avec des parallélismes intelligents et convaincants, et d'excellents personnages.

    La troisième partie est celle qui amène le dénouement, un dénouement à la fois prévisible et surprenant, où tous les fils tissés pendant le roman - certains de manière invisible - se déploient jusqu'à l'évidence et le mystère, celui de la foi.

    "Je ne pense pas que vous réalisez ce qu'il représente pour son peuple" (dit Delia)

    "Je ne pense pas que vous réalisez ce qu'il représente pour sa famille" (répond Ruby)

    Daryl Gregory est un auteur que j'ai découvert il y a quelques années avec ce livre, et dont les qualités, de romancier et de tempérament (ses récits sont tous incroyablement chaleureux, humains, drôles et généreux) et l'imagination fertile m'ont amené à le classer parmi mes préférés, ceux dont je lis et relis les livres avec un plaisir constant.

     

    Je suis très heureuse de voir enfin cette version française tant attendue, qui va me permettre de faire découvrir ce livre et cet auteur autuur de moi. Je loue au passage la magnifique couverture d'Aurélien Police, un splendide hommage à la finesse, la sensibilité et la subtilité du roman (et aussi le flair de l'éditeur : une illustration zombiesque classique aurait été un choix navrant).

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  • Commentaires

    1
    Dimanche 21 Septembre 2014 à 18:22

    Un bel avis qui donne envie de se jetter sur ce roman. :) C'est vrai que la couverture d'Aurélien Police ne gâche rien !

    2
    Dimanche 21 Septembre 2014 à 19:45

    Merci !

    J'espère bien faire des émules, j'adore cet auteur ; ce livre est un de mes coups de foudre de ces dernières (fastes) années.

    La couverture n'était pas facile à imaginer, le résultat m'a enchantée. Le livre en lui-même est très beau, d'ailleurs !

    Happy books  smile

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