•  Le Guide de l'uchronie de Karine Gobled et Bertrand Campeis

                              Éditeur : ActuSF                           

    paru le 6 janvier 2015 - 346 pages  pour la version brochée

      (version numérique disponible)

     

    Voici une lecture que je recommande chaudement à toutes les personnes intéressées par l'uchronie (ou histoire alternative) et par tous les concepts qui en dérivent, comme les mondes parallèles, les boucles temporelles, les voyages dans le temps, etc.

    D'une manière générale je le recommande à tous les curieux, ceux qui aiment cogiter et qui se passionnent pour la fiction fantastique au sens large, tant pour ses déclinaisons littéraires (fantastique, SF, fantasy, que ce soit sous forme de romans, nouvelles, novellas, BD ou mangas) que pour les autres expressions de la fictions : films, animés, jeux, musique.

    En effet un des atouts de ce guide est la largeur d'esprits des auteurs quand au traitement du sujet. C'est bien agréable, chacun qui y retrouvera ses petits.

    Ce guide est assez long mais comporte une bonne portion de conseils de lectures, avec fiches détaillées et conseils de lectures croisées, que l'on peut lire ou survoler pour y revenir éventuellement. Des lectures de récits uchroniques mais aussi d'essais sur le sujet. Il propose également bon nombre d'entretiens avec des auteurs, un éclairage très intéressant tant pour le contenu que pour les diverses personnalités qui en émergent : on trouve même des auteurs d'uchronie qui refusent l'existence même de cette notion ! (shocking, je sais ^-^).

    J'ai beaucoup appris de cette lecture, en particulier en ce qui concerne les origines (fort fort lointaines) de l'exercice et sa définition, mais ce qui m'a le plus frappée, et éclairée, est cette nette dualité entre uchronie "sérieuse" et uchronie "loisir".

    (Attention ! Ceci n'est pas la classifications des auteurs, mais le ressenti que j'en ai eu).

    Le premier type d'uchronie est celle qui permet de réfléchir à l'Histoire, d'une manière scientifique, et d'en tirer des enseignements. Ces écrivains sont des historiens et prennent comme point névralgique un événement historique notable, qui n'aura pas eu lieu (assassinat d'une personnalité, victoire lors d'une guerre, attentat, etc.). Le nombre de récits portant sur des variations autour des deux guerres mondiales semble faramineux.

    Ainsi, si l'auteur doit connaître l'Histoire sur le bout des doigts pour écrire une histoire alternative solide, le lecteur doit en être également féru pour apprécier les efforts de l'auteur.

    Le deuxième type regroupe le reste, avec entre autres : l'uchronie personnelle ("que serait ma vie si j'avais raté cet examen, si je n'avais pas accepté cette proposition, si tel proche avait vécu"), le steam-punk (récits où la technologie est venue plus tôt) et tous les récits où le tournant est si radical que l'auteur prend ses aises et propose une histoire complètement réécrite, très décalée, aux parfums fantasy, fantastique, fantasy, steam-punk, ou un peu de tout ça à la fois.

    Ce qui est amusant, à la lecture de cet ouvrage, c'est de réaliser à quel point l'uchronie est partout. On croit ne pas savoir ce que c'est, en avoir jamais lu ni vu, et pourtant !

    Un exemple ? Un de mes films préférés, plusieurs fois cité dans le guide : Un Jour sans fin .

    Un autre ? Harry Potter !

    J'ai eu la réponse à beaucoup de mes questions, comme la fréquence d'uchronie hors tournant historique (rares ; j'ai relevé un roman jeunesse sans lequel la grippe espagnole a donné naissance à des humains dénués de tout odorat - original et fascinant. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que je déplorerais la maigre présence de la biologie dans la fiction), les limites de l’appellation (très larges, pas de snobisme ici !), les perspectives d'avenir du genre.

    Pour finir je tiens à saluer le travail des auteurs, tant pour le fond, qui m'a paru très complet à tout azimut, que pour la forme, le guide est très bien écrit et très fluide, que pour le prix kindle, tout riquiqui. A noter que les deux formats ont leur intérêt, le numérique pour prendre notes et faire des recherches par mots clés, et le papier pour feuilletage, en particulier à la recherche d'une bonne lecture.

    Voilà ! Le dernier à l'avoir lu se verra condamné à refaire en boucle sa pire année scolaire... 3:)

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    Éditeur en VO : Feiwel and Friends

    Parus les 3 janvier 2012 - 5 février 2013 - 4 février 2014

    (390 pages / 452 pages / 550 pages)

     

     

    Éditeur en VF : Pocket Jeunesse

    Parus les 14 mars 2013 - 7 novembre 2013 - 16 octobre 2014

    (412 pages / 477 pages / ? pages)

     

    Je louchais depuis un moment sur le tome 1 de la série, Cinder, mais sans urgence, m'attendant à un récit steam-punk d'inspiration conte de fée ("encore... c'est la mode...") très girlie et assez léger. Bref une lecture sympa, sans plus. Les couvertures, toutes très jolies, tant pour la VO que la VF, ont largement contribué à inspirer cette réticence ; ce choix marketing est peut-être bon en soit pour attirer le lecteur, mais j'en doute un peu : la série aurait été mieux servie à mon sens par une couverture esthétique peu figurée, dans le genre de celle des séries Twilight ou Hunger Games. Ce type de couverture semble présenter une histoire jolie et mignonette pour filles, excluant ainsi bien des lecteurs - ce qui est bien dommage
    (même si j'avoue que cette couverture du tome 3 en français, que je viens de découvrir, est absolument splendide, tout comme celle du tome 2 ! Nul doute que je les rachète rapidement pour la famille et en cadeaux)

    Ce premier tome m'a étonnée : des thèmes d'inspiration hétéroclite, une ambiance résolument SF (chouette) pour un ensemble plein de personnalité et très prometteur pour de futurs développements. J'ai alors regretté le manque d'étoffe du roman, trop court à mon goût, qui aurait gagné à être plus détaillé. Du coup les indices donnés pour deviner les surprises y apparaissent de façon bien trop transparente, ce qui m'a paru bien dommage.
    Toutefois cette lecture m'a beaucoup plu et je me suis empressée de lire la suite, qui a répondu à mes attentes, avec un récit plus charnu, une trame plus complexe et des allusions plus subtiles. De toute évidence l'auteur avait tenté de s'adapter à un jeune lectorat avec son premier livre, simplifiant excessivement, mais était capable d'excellence !
    Le deuxième tome, Scarlet, et le troisième, celui-ci, "Cress" présentent une pléthore de qualités enthousiasmantes.

    L'histoire générale, qui se poursuit linéairement d'un tome à l'autre, est passionnante et addictive. L'action est justifiée, laissant la part belle aux interactions entre les personnages, tous sans exception très bien typés, entre réalisme, stéréotype de conte de fées ou de film de comédie-action et petite touche personnelle. Chacun d'entre eux présente des traits foncièrement romanesques, mais sans jamais sombrer dans la caricature.

    Les romances qui s'installent et se poursuivent au fil des tomes (une idée osée pour un résultat brillant) sont toutes très réussies, drôles, touchantes, crédibles. Ô gloire, pas le moindre triangle amoureux en vue et des émois amoureux sobres et émouvants, sans aucun des abus descriptifs trop souvent habituels au genre actuel romance YA. Leur place est d'ailleurs assez limitée dans l'histoire, la narration reste centrée sur la menace présentée par la reine Lunar.

    Les mystères et enchevêtrements de l'histoire sont, dès les tome 2, savamment dosés, nous permettant de jouer aux devinettes, pour être ensuite régulièrement satisfaits ou surpris.

    L'imagination de l'auteur, quoique fondée sur de nombreuses histoires préexistantes, est remarquable. Son style, simple et direct, sert bien le récit, le rendant abordable à des lecteurs plutôt débutants en anglais. L'humour, sans être omniprésent, est souvent très réjouissant, en particulier dans la mise en scène, très visuelle.

    Le cadre SF, où évoluent successivement les héroïnes inspirées de conte de fées (Cendrillon, puis le Petit Chaperon Rouge, Raiponce et, pour le tome 4 prévu pour fin 2015, Blanche Neige) est très jubilatoire pour quelqu'un de ma génération, bercée par les séries SF plus imaginatives et psychologiques que nourries d'effets spéciaux. Un hommage à Star Wars est peut-être bien rendu, ou peut-être est-ce seulement mon ressenti à voir évoluer ces Intelligences Artificielles (Iko !!), ces droïdes plus ou moins humanoïdes, ces vaisseaux volants.
    L'inspiration est mixte, on sent aussi des notes d'urban-fantasy, de films d'action type Indiana Jones.
    Bon, il ne faut pas chercher de grande crédibilité scientifique, mais l'auteur reste simple et tout passe très bien.

    Une des qualités de cette série est de nous épargner, pour une fois, la focalisation du récit sur le continent américain. Dans cette histoire qui se déroule dans quelques siècles, les pays ont été remaniés entre quelques Commonwealths, et le récit s'inscrit en Chine, en France (pas seulement Paris, également un petit village près de Toulouse), en Afrique du Nord.
    Ce choix est vraiment très rafraîchissant, d'autant que l'auteur est consciencieuse et connaît ce dont elle parle (les mots français sont parfaitement accentués, par exemple, et les prénoms crédibles - pas de sémillant Jean-Raoul !)

    A noter que de courtes histoires (préquelles diverses) sont disponibles en gratuit. Je les lirai bientôt et mettrai à jour ce commentaire. D'autre part les droits semblent avoir été rachetés, espérons qu'un film de qualité verra bientôt le jour, cette série a un potentiel fantastique si tant est que les choses soient intelligemment traitées !

     

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     Éditeur en VO : Angus & Robertson Childrens (first publication)

    Paru le 22 août 1998

    240 pages 

      
    J'ai découvert ce livre en recherchant les livres de l'auteur, qui a écrit l'excellente doublon d'Eon (Eon et le douzième dragon / Eona et le Collier des Dieux). Je n'ai pas été déçue par ma lecture, pourtant très différente de la précédente. Les auteurs australiennes savent nous surprendre, ce n'est pas la première fois que je le constate !

    Le récit, à la première personne du singulier, est racontée par une jeune fille, avec un ton curieusement masculin : l'auteur étant une femme on devine que l'intention est volontaire, le personnage est d'une pièce, un peu brusque mais aussi, comme l'histoire nous le démontre, capable de beaucoup d'empathie et de loyauté.

    Le contexte est clairement SF : les aliens sont parmi nous ! Ou plutôt ils ont pris contact, tout à fait pacifiquement, depuis une douzaine d'années, et souhaitent maintenant procéder à un échange de connaissances : leurs capacités à voyager dans l'espace contre la toute nouvelle capacité à voyager dans le temps des humains. La nouveauté de voir des aliens parmi nous s'est déjà pas mal érodée, d'ailleurs les étudiants considéreront le personnage extra-terrestre avec un mélange de curiosité et d'indifférence méprisante typiquement ado !
    Avis à l'amateur pur et dur de SF : ces thèmes sont placés pour permettre le développement de l'intrigue, mais jamais justifiés d'une manière (pseudo) scientifique.
    Avis aux autres types de lecteurs : les qualités du roman compensent largement cette prise de liberté avec le genre !

    Le récit possède ses qualifications Young Adult : une jeune fille issue d'une famille dysfonctionnelle (mère riche, célèbre et qui a fait un choix contesté quand à sa conception - le thème est porteur dans le roman, un thème qui évoque Bienvenue à Gattaca), des problèmes de scolarité, des amis particuliers en ville et des ennemis très classiques parmi les étudiants et les profs. Les amateurs de roman d'initiation en milieu scolaire y trouveront leur compte.

    Joss, considérée avec méfiance tant par ses proches que par le corps professoral, est pourtant très motivée par ses études dans le prestigieux (l'argent de maman disent ses détracteurs) centre d'études historique - qui utilise bien entendu la machine à remonter le temps pour ses travaux, d'une manière très contrôlée et académique.
    L'année d'étude qui s'annonce demande de travailler par pair et Joss, à sa grande surprise, se voit choisie par le nouvel élève de l'université... Mavkel, un jeune extra-terrestre, choisi par les siens pour se former à la technologie humaine du voyage dans le temps.
    On découvre rapidement que Mavkel souffre lui aussi d'une situation atypique : son peuple, en plus d'être largement pourvu d'organes supplémentaires (oreilles, bouche, bras) nait et vit par paires. Ils sont tous télépathes, mais le lien par doublon est fondamental, vitale même. Pourtant, quand le doublon de Mavkel est mort, les autorités de son monde ne l'ont pas laissé mourir, se disant que celui-ci pourrait justement servir la cause...

    L'histoire est très bien tournée, pleines de rebondissements, de surprises et d'humour. Le contexte australien est bien rafraîchissant, la tonalité YA réussie, ni naïve ni cynique.
    Mais ce que j'ai préféré, et qui est exceptionnellement bien fait, est la manière dont est intégré l'alien dans l'histoire. Ses différences, tant physiques (ses oreilles !) que psychologiques sont habilement mises en scène, avec beaucoup de drôlerie, de finesse et d'empathie.

    En lisant la présentation de l'éditeur j'avais imaginé un alien très glamour, avec une possibilité de romance à la clé : il n'en est rien !
    Les Choriens sont hermaphrodytes (le moment où le malheureux Mavkel - qui n'a pas besoin de dormir au fait, grâce à ses deux cerveaux qui se déconnectent tour à tour - découvre pendant ses nuits d'études le "genre" et en réclame un, finissant avec "il", octroyé par Joss, est particulièrement amusant) ont un physique très bizarre, pas très attractif, une voix étrange (puisque la télépathie est leur manière privilégié de communiquer) ; Joss n'est d'ailleurs pas toujours très diplomate dans sa manière de donner des leçons de savoir vivre terrien à son colocataire !
    Pourtant une relation s'installe, une complicité, une amitié inattendue, qui se trouve renforcée quand un professeur tente de séparer le tandem. Joss comprend vite que Mavkel est dans un état de souffrance psychique aiguë : les Choriens ne sont pas faits pour vivre seuls, leur sorte de gémellité est un état naturel et Mavkel, qui a cru ressentir une résonance dans le mental de Joss, tente désespérément de retrouver cette intimité, cette fusion, avec la jeune fille.
    Bon, Joss compatit et cherche sincèrement à aider son nouvel et atypique ami. Mais cela ne veut pas dire qu'elle le fasse avec beaucoup de bonne grâce : Elle trouve Mavkel souvent trop collant et ne met pas toujours des gants pour lui faire comprendre !
    Ce traitement d'un E.T, qui loin d'être d'une intelligence froide inhumaine, est au contraire un être doux et pacifique (si ce n'est un peu envahissant mentalement), avide de contact physique, est très original et très bien traité ici, avec plein de d'humour et de tendresse sous le vernis bourru de l'adolescent, peu enclin à se montrer sentimental.

    Une lecture courte, addictive que je conseille à (presque) tous !

     

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    Éditeur : Gallimard Jeunesse

    Paru le 6 juin 2003

    528 pages 

     

    J'avoue être bien (très) difficile à séduire par nos écrivains français actuels ; je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que toutes les lectures qui ont forgé mes goûts datent presque toutes d'il y a plus de trente ans ? Toujours est-il que le style de nos contemporains me gêne souvent, trop familier ou au contraire trop travaillé. Je reste de la vieille école ; l'écriture doit être belle et sobre, ne pas faire mal aux oreilles, ne pas ralentir la lecture et servir l'histoire avec dévotion : le style doit soutenir le récit et non l'inverse.

    J'ai eu des doutes concernant ce livre primé par le concours du premier roman jeunesse Gallimard. J'ai lu les extraits proposés lors de la première sélection des trois finalistes, et si l'histoire proposée par Christelle Dabos m'avait immédiatement attirée, les morceaux de texte sélectionnés par l'éditeur m'avaient un peu rebutée : j'ai craint alors qu'elle n'ait été choisie principalement pour son style orné (une faiblesse des éditeurs français à mes yeux) plutôt que pour l'excellence de son histoire. J'ai donc repoussé cette lecture à plus tard, pas pressée de dépenser une somme rondelette pour découvrir un nouveau texte - attention je vais être brutale ! - plutôt ennuyeux et prétentieux.
    Mais finalement, ne voulant pas me fier à un échantillon aussi maigre et pas forcément représentatif, et grâce à la magie du numérique (ceux qui le critique et le méprise verront ici une parfaite démonstration de son utilité au service de l'Art), j'ai téléchargé l'extrait gratuit sur mon kindle.
    Je l'ai lu, je l'ai aimé, j'ai cliqué (malgré le prix, aïe un e-book à plus de 8 €, ça coince).
    Puis j'ai lu, lu, lu et adoré !
    Voilà il ne me reste plus qu'à le racheter au format papier, deux ou trois fois, pour moi et pour offrir. Et ceci même si l'illustration de couverture ne m'emballe pas : elle est fidèle à une partie du récit, mais me parait bien terne au regard des images percutantes qui naissent dans notre imagination de lecteur lors de notre immersion dans ce roman...

    Bon, passons maintenant aux défauts de ce livre.
    Euh...
    Bon, j'imagine que certains pourraient le trouver un peu lent, même s'il s'y passe à mes yeux plein de choses, mais seulement les lecteurs en quête de lecture fast-food, où tout doit être servi sans attente et sans surprise (je ne crache pas sur ce genre de littérature, ça peut être très agréable et délassant, mais ce n'est pas ce que l'on doit attendre ici).
    Et il y a peut-être quelques petits hics (le coup des sabliers : comment est-on remplacé au débotté ?...), mais c'est vraiment chercher la petite bête.

    Voilà, maintenant, pour les qualités :
    Eh bien toutes celles que l'on attend de quelqu'un qui va vous raconter une merveilleuse histoire.

    Un style de grande qualité, très souple ; seules "butées", l'usage récurrent que fait l'auteur de certains verbes habituellement non utilisés, alors que d'autres, aussi imagés, le sont de manière habituelle en littérature (par exemple on dit parfois qu'une chevelure "coule", c'est une image classique, même si les cheveux ne sont pas liquides - et que l'auteur décrit à un moment comme "pleurant", alors qu'ils sont mouillés - toujours une image, mais avec un emploi inhabituel d'un verbe alternatif. Comment ça, c'est pas clair ?!). J'ai été surprise de n'être pas gênée par ces petites outrances gracieuses (quand je vous disait que j'étais du genre à pinailler honteusement) : mais curieusement, ces échappées lyriques et légères s'accordent à la perfection au style de l'héroïne, qui est elle-même si décalée, avec sa gaucherie, son écharpe vivante, sa timidité féroce.

    La narration est parfaite, très travaillée pour une lecture très fluide. L'insertion progressive du back-ground dans l'histoire (une idée assez osée d'ailleurs, qui fleure la légende antique) est tout simplement remarquable, préservant jusque ce qu'il faut de suspens et de surprise. L'imagination de l'auteur est prolifique, mais parfaitement maîtrisée et organisée. Les descriptions ne sont pas seulement poétiques, elles sont délicieusement concises et évocatrices : les images jaillissent toutes seules sans aucun effort de la part du lecteur, qui peut rester plongé dans le roman sans en lever le nez.
    Le rythme est lui aussi excellent (je vais bientôt me trouver à court de superlatifs), l'histoire bien pensée et mystérieuse, l'ambiance forte et assez angoissante tout en préservant une belle part à la chaleur humaine.
    Les personnages sont vraiment très intéressants : Entre les rôles secondaires, qui paradent comme des figurants de conte classique avant d’évoluer de surprenante façon, et les principaux rôles, toutes en nuances et en paradoxes très humains, qui mûrissent tout au long de l'histoire, c'est un sans-faute.
    L'utilisation et l'exposition de la magie sont elles aussi des modèles de retenue et d'efficacité : le résultat est très satisfaisant pour des lecteurs aguerris du genre, qui pensent avoir tout lu.

    L'histoire est passionnante et assez inattendue dans son déroulement. Une jeune femme gauche et introvertie, aux talents mal reconnus (par sa faute, comprend-t-on finalement), confite dans son train-train, se voit obligée de quitter son "pays" (je vous laisse découvrir l'étonnante réalité du monde où évolue Ophélie) pour épouser un inconnu, une brute mal dégrossie des confins du Nord...
    Avec une certaine malice je pense, l'auteur nous présente une salve de thèmes de romance classique pour se dérober sans cesse, nous offrant à la place une relation réaliste, dans laquelle Ophélie nous étonnera bien plus que son récalcitrant fiancé.

    La nouvelle vie d'Ophélie commence dans le mensonge, les mystères, les non-dits et l'inconfort, alors qu'elle doit cacher son existence de fiancée du mal-aimé et méprisé Thorn en attendant le mariage. Elle est confiée à l'extraordinaire tante de ce dernier (rayez immédiatement de votre cerveau tout ce qui vous est venu en lisant ces mots, vous êtes très loin du compte !) et doit affronter mille vexations, exigences et souffrances pour des raisons qui lui paraîtraient peut-être bonnes si quelqu'un s'était donné la peine de lui expliquer la situation - ce que personne ne souhaite faire, pour des raisons personnelles et le plus souvent égoïstes.
    Considérée comme quantité négligeable (qui est pris qui croyait prendre !) Ophélie, malgré ses manques d’appas en tant qu'héroïne classique romantique (petite, insignifiante, inexpressive, têtue, maladive) montre un courage, une intelligence et une opiniâtreté enthousiasmantes. Sa ténacité lui permettra de démêler l'écheveau malsain de la Cour où elle devra évoluer, tout en tentant de se créer un début d'une nouvelle vie, résistant de toutes ses forces aux volontés implacables qui l'entourent et tentent de l'annihiler, par l'anéantissement pur et simple ou par le modelage parfait.

    Ce livre est ainsi à mes yeux une parfaite réussite, un "vrai" livre, pas un appétissant phénomène de mode. Par cela même, il peut surprendre son lecteur : il faut donc l'aborder avec un esprit ouvert et le proposer à bon escient.
    Pour commencer je ne pense pas qu'il puisse être apprécié à sa juste valeur par un lecteur en plein "trip" bitlit / dystopie / post-ap. Parmi ces lecteurs, seulement ceux et celles qui apprécient de varier leurs lectures (qui aiment lire ainsi à la fois des romans dans le vent et des classiques, comme "La passe-miroir" mériterait amplement de devenir) seront heureux de découvrir ce roman.
    Heureusement ceux-ci sont bien plus nombreux que l'on ne le pense !
    Ensuite, bien que ce roman ait gagné un prix présenté comme "Jeunesse", avec une tranche large à la Harry Potter, je ne vois pas comment un enfant pourrait l'apprécier : c'est un récit complexe, assez sombre et surtout axé sur des méandres politiques et des manipulations psychologiques réservées à un public adolescent réfléchi et adulte.
    C'est ainsi à mes yeux un typique roman "Young Adult", une catégorie toujours aussi floue que j'adore, pour les merveilles qu'elle nous apporte sans cesse.

    Enfin, je ne comprends pas bien pourquoi un tel livre, présenté par un éditeur aussi prestigieux et médiatisé, ne fait pas plus de bruit.
    Aurais-je manqué quelque chose ?...

     

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    Éditeur en VO : Pamela Dorman Books

    Paru le 1 août 2003

    576 pages 

     
     
    J'ai eu un coup de foudre pour ce roman, que JKR aurait pu écrire après Harry Potter, si elle n'avait pas sombré du côté obscur de la justification littéraire.
     

    Le premier argument que je pourrais avancer pour louer les qualités de ce livre est que les deux thèmes traités ne sont pas a priori de ceux qui me donne envie de lire un livre. Bien souvent les romans utilisant ces moteurs m'ennuient, leurs récits m'apparaissent hermétiques, abstraits, oniriques, compliqués, bref, pas enthousiasmants.

    La comparaison avec JKR n'est pas une évidence flagrante. Ce n'est qu'après un bon moment de lecture que je me suis dit que de telles qualités narratives auraient très bien pu être attribuées au génie qui a écrit les six premiers Harry Potter : une narration très souple, un humour à fleur de page, d'excellents personnages, un côté sombre, macabre parfois même, mais jamais insoutenable, une imaginativité superbe, un souci dans les détails de mise en scène de la magie, qu'elle soit spectaculaire ou quotidienne, une facilité d'immersion admirable, une envie de continuer la lecture à l'infini, etc.
    Hélas, JKR a choisi d'essayer de nous montrer qu'elle savait aussi écrire des romans sérieux pour adultes avertis et m'a laissé choir en cours de route comme une vieille chaussette de Lucius Malfoy...
    Mais heureusement Emily Croy Barker était là !

    Il semblerait que certains lecteurs ne soient pas arrivés à s'immerger dans ce livre, ou y avoir trouvé des longueurs : le terme me parait parfaitement inapproprié selon ma définition personnelle. Le roman est long, souvent calme, avec des scènes quotidiennes (qui, loin d'être inutiles, participent autant à la construction progressive du cadre qu'à l'évolution des personnages), mais sa lecture a été pour moi un vrai page turner. Pas de ceux dont les promesses de surprises vous font tourner fébrilement les pages quitte à penser en refermant le livre (le plus souvent en ce qui me concerne) : "oui, c'était pas mal, accrocheur c'est sûr, mais je ne le relirai jamais ni aucun autre des livres de l'auteur", mais de ces lectures merveilleuses qui jamais ne vous lassent.
    En revanche, s'il vous faut beaucoup d'action (de guerroiements, d'échauffourées, d'escarmouches, de poursuite en voiture - ah pourtant il y en a une à dos de, de... enfin de quelque chose), de tension permanente, de douleurs exquises, de personnages immondes, bref, si votre tasse de thé est l'héroic fantasy et rien d'autre, ce livre n'est sans doute pas fait pour vous.

    Techniquement le récit est irréprochable : le rythme est parfait, le style, sobre et littéraire, ponctué de petites réflexions pleines d'humour et de finesse, est un délice à lire ; les personnages sont intelligents, toujours un peu plus, ou un peu moins que le portrait de départ ne le laisserait supposer.
    La tonalité, plutôt positive, étonne par certains partis pris (je ne veux pas spoiler, mais je pense à deux épisodes en particulier qui sautent courageusement à la gorge du lecteur !) ainsi que par sa malléabilité, alors qu'on passe en souplesse d'un état de fait à un autre (vague je sais, mais je ne veux pas gâcher les surprises). La manière de considérer la magie, comme un art demandant du travail, de la passion, de l'acharnement et du sens pratique avant toute chose, est à mes yeux un des grands atouts de ce livre.

    Une des forces de ce roman, clairement de fantasy, est qu'il est manifestement écrit par quelqu'un qui a lu autre chose que de la fantasy avant de prendre sa plume. Le monde magique est classique dans ses grandes lignes, et évoquera bien d'autres lectures aux amateurs du genre. Mais l'art de raconter reste celui d'un auteur qui serait capable de retenir l'attention de son lecteur même sans avoir recours aux charmes indéniables de la fantasy. Les gammes sont connues, et d'ailleurs l'auteur s'amuse avec sa mise en scène, ne dédaignant pas nous envoyer sur de fausses pistes ou nous pousser du coude à l'occasion.

    Ainsi, les lecteurs réguliers de littérature générale reconnaîtront parfois des allusions amusantes (comme celles au roman "Orgueil et Préjugés" de Jane Austen, assez peu fréquentes mais judicieuses, amusantes et aussi sans complexe, l'auteur partant du principe que le lecteur connait ce classique sur le bout des doigts !), des audaces narratives dans la manière de présenter des artifices de romance complètement décalés, et parfois même des clins d’œils malicieux. Ces derniers, d'une désinvolture charmante (comme quand l'héroïne, habillée en mode souillon, arrive à se faire faire des bottes neuves et les contemple toute la journée avec bonheur, du poulailler à la porcherie, en s'extasiant sur la façon, en regrettant de ne pouvoir les porter avec des collants et une mini-jupe, ou encore le moment où le grand magicien semble marmonner de sombre incantations qui ne sont en fait qu'un tombereau de jurons !) pourront peut-être désarçonner le lecteur pur et dur de fantasy, chagriné de voir ce noble genre ainsi taquiné alors qu'il semblait si bien pris au sérieux !

    Pourtant ces notes d'humour ne font pas du roman une satire du genre, loin de là : la richesse du monde est impressionnante, les idées foisonnent (une pensée à Jonathan Stroud de temps en temps), la crédibilité de l'ensemble est excellente.
    Et pour une fois, ô bonheur, l'héroïne n'est pas une gauche jeune fille, une beauté qui s'ignore, incomprise et torturée, qui va apprendre qu'elle a de formidables pouvoirs magiques, qui vont lui permettre de sauver le monde. Non, Nora est une jeune femme de près de trente ans qui se sait plutôt séduisante et qui, même si elle vient d'essuyer une brutale déconvenue à l'ouverture du roman, n'est pas malheureuse dans le monde où elle vit. Elle a souffert une perte dans l'enfance, a du mal à trouver sa voie professionnelle, mais assume plutôt bien tout ça !
    Et, cerise sur le gâteau, elle ne se retrouve pas écrasée par le poids d'une grandiose destinée : c'est elle qui décide, tout simplement, que la magie l'intéresse et qu'elle va l'apprendre, aussi difficile que ce soit.
    Cette partie apprentissage de la magie (soit de quelque chose qui n'existe pas et que l'on ne peut donc pas appréhender) est spectaculairement réussie : le travail acharné, la répétitivité, l'entraînement incessant, l'agacement devant les échecs, les détails amusant (la petite pluie agaçante qui tombe sur Nora, son très inconvénient "tic magique involontaire") et les lectures assidues de vieux livres et parchemins, tout ça sans ennui et avec une authenticité incroyable ! Ça vous rappelle quelque chose ?... Qu'est-ce que je vous disais en préambule !

    Les amatrices de romance dans le sens le plus noble du terme (celles où l'on apprend à connaître vraiment les personnages et où l'on assiste à leur lente progression psychologique) se demanderont sans doute s'il en existe une ou non dans ce roman. Une chose est certaine, c'est qu'il s'agit bien d'une histoire d'amour - une histoire d'amitié pour commencer... et c'est déjà beaucoup.

    Une seule chose me gêne dans ce livre : le choix de couverture et surtout du titre, qui évoque un récit léger, superficiel, façon chicklitt. Pourtant si ce roman est à mon sens très accessible, et à un très large lectorat, il démontre un travail approfondi, celui qui permet de mettre à portée du lecteur un ensemble foisonnant sans douleur aucune. D'ailleurs, il me faut évoquer ici un livre auquel il n'a pas été comparé dans son pays d'origine (et pour cause, il est français !) : La passe-miroir (Livre 1) - Les Fiancés de l'hiver qui, par de nombreux côtés, rejoint l'excellence de ce roman.

    Enfin, si ce livre n'a rien de girlie, c'est tout de même une lecture moderne, assez féministe : Nora sait ce qu'elle veut, n'est pas pudibonde et si elle est assez intelligente pour faire ce qu'il faut quand il faut, retroussant les manches et se mettant à l'ouvrage, elle n'est pas non plus du genre à s'écraser. Et c'est très satisfaisant ! Elle reste une jeune femme moderne, intelligente, travailleuse et pleine de sang-froid. Avec beaucoup de drôlerie l'auteur nous prouve qu'une culture académique peut être utilisée avec brio et sauver la mise ! De plus, Nora n'a pas les petits défauts habituels, elle n'est ni agaçante ni mièvre (elle ne semble pas très sensible au bien-être animal, c’est dire !), c'est un personnage aisé à suivre.

    La fin de ce roman enchanteur ouvre sur une suite qui, j'espère, ne se fera pas trop attendre...
     
     
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