• "Les fiancés de l'hiver" de Christelle Dabos

     

    Éditeur : Gallimard Jeunesse

    Paru le 6 juin 2003

    528 pages 

     

    J'avoue être bien (très) difficile à séduire par nos écrivains français actuels ; je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que toutes les lectures qui ont forgé mes goûts datent presque toutes d'il y a plus de trente ans ? Toujours est-il que le style de nos contemporains me gêne souvent, trop familier ou au contraire trop travaillé. Je reste de la vieille école ; l'écriture doit être belle et sobre, ne pas faire mal aux oreilles, ne pas ralentir la lecture et servir l'histoire avec dévotion : le style doit soutenir le récit et non l'inverse.

    J'ai eu des doutes concernant ce livre primé par le concours du premier roman jeunesse Gallimard. J'ai lu les extraits proposés lors de la première sélection des trois finalistes, et si l'histoire proposée par Christelle Dabos m'avait immédiatement attirée, les morceaux de texte sélectionnés par l'éditeur m'avaient un peu rebutée : j'ai craint alors qu'elle n'ait été choisie principalement pour son style orné (une faiblesse des éditeurs français à mes yeux) plutôt que pour l'excellence de son histoire. J'ai donc repoussé cette lecture à plus tard, pas pressée de dépenser une somme rondelette pour découvrir un nouveau texte - attention je vais être brutale ! - plutôt ennuyeux et prétentieux.
    Mais finalement, ne voulant pas me fier à un échantillon aussi maigre et pas forcément représentatif, et grâce à la magie du numérique (ceux qui le critique et le méprise verront ici une parfaite démonstration de son utilité au service de l'Art), j'ai téléchargé l'extrait gratuit sur mon kindle.
    Je l'ai lu, je l'ai aimé, j'ai cliqué (malgré le prix, aïe un e-book à plus de 8 €, ça coince).
    Puis j'ai lu, lu, lu et adoré !
    Voilà il ne me reste plus qu'à le racheter au format papier, deux ou trois fois, pour moi et pour offrir. Et ceci même si l'illustration de couverture ne m'emballe pas : elle est fidèle à une partie du récit, mais me parait bien terne au regard des images percutantes qui naissent dans notre imagination de lecteur lors de notre immersion dans ce roman...

    Bon, passons maintenant aux défauts de ce livre.
    Euh...
    Bon, j'imagine que certains pourraient le trouver un peu lent, même s'il s'y passe à mes yeux plein de choses, mais seulement les lecteurs en quête de lecture fast-food, où tout doit être servi sans attente et sans surprise (je ne crache pas sur ce genre de littérature, ça peut être très agréable et délassant, mais ce n'est pas ce que l'on doit attendre ici).
    Et il y a peut-être quelques petits hics (le coup des sabliers : comment est-on remplacé au débotté ?...), mais c'est vraiment chercher la petite bête.

    Voilà, maintenant, pour les qualités :
    Eh bien toutes celles que l'on attend de quelqu'un qui va vous raconter une merveilleuse histoire.

    Un style de grande qualité, très souple ; seules "butées", l'usage récurrent que fait l'auteur de certains verbes habituellement non utilisés, alors que d'autres, aussi imagés, le sont de manière habituelle en littérature (par exemple on dit parfois qu'une chevelure "coule", c'est une image classique, même si les cheveux ne sont pas liquides - et que l'auteur décrit à un moment comme "pleurant", alors qu'ils sont mouillés - toujours une image, mais avec un emploi inhabituel d'un verbe alternatif. Comment ça, c'est pas clair ?!). J'ai été surprise de n'être pas gênée par ces petites outrances gracieuses (quand je vous disait que j'étais du genre à pinailler honteusement) : mais curieusement, ces échappées lyriques et légères s'accordent à la perfection au style de l'héroïne, qui est elle-même si décalée, avec sa gaucherie, son écharpe vivante, sa timidité féroce.

    La narration est parfaite, très travaillée pour une lecture très fluide. L'insertion progressive du back-ground dans l'histoire (une idée assez osée d'ailleurs, qui fleure la légende antique) est tout simplement remarquable, préservant jusque ce qu'il faut de suspens et de surprise. L'imagination de l'auteur est prolifique, mais parfaitement maîtrisée et organisée. Les descriptions ne sont pas seulement poétiques, elles sont délicieusement concises et évocatrices : les images jaillissent toutes seules sans aucun effort de la part du lecteur, qui peut rester plongé dans le roman sans en lever le nez.
    Le rythme est lui aussi excellent (je vais bientôt me trouver à court de superlatifs), l'histoire bien pensée et mystérieuse, l'ambiance forte et assez angoissante tout en préservant une belle part à la chaleur humaine.
    Les personnages sont vraiment très intéressants : Entre les rôles secondaires, qui paradent comme des figurants de conte classique avant d’évoluer de surprenante façon, et les principaux rôles, toutes en nuances et en paradoxes très humains, qui mûrissent tout au long de l'histoire, c'est un sans-faute.
    L'utilisation et l'exposition de la magie sont elles aussi des modèles de retenue et d'efficacité : le résultat est très satisfaisant pour des lecteurs aguerris du genre, qui pensent avoir tout lu.

    L'histoire est passionnante et assez inattendue dans son déroulement. Une jeune femme gauche et introvertie, aux talents mal reconnus (par sa faute, comprend-t-on finalement), confite dans son train-train, se voit obligée de quitter son "pays" (je vous laisse découvrir l'étonnante réalité du monde où évolue Ophélie) pour épouser un inconnu, une brute mal dégrossie des confins du Nord...
    Avec une certaine malice je pense, l'auteur nous présente une salve de thèmes de romance classique pour se dérober sans cesse, nous offrant à la place une relation réaliste, dans laquelle Ophélie nous étonnera bien plus que son récalcitrant fiancé.

    La nouvelle vie d'Ophélie commence dans le mensonge, les mystères, les non-dits et l'inconfort, alors qu'elle doit cacher son existence de fiancée du mal-aimé et méprisé Thorn en attendant le mariage. Elle est confiée à l'extraordinaire tante de ce dernier (rayez immédiatement de votre cerveau tout ce qui vous est venu en lisant ces mots, vous êtes très loin du compte !) et doit affronter mille vexations, exigences et souffrances pour des raisons qui lui paraîtraient peut-être bonnes si quelqu'un s'était donné la peine de lui expliquer la situation - ce que personne ne souhaite faire, pour des raisons personnelles et le plus souvent égoïstes.
    Considérée comme quantité négligeable (qui est pris qui croyait prendre !) Ophélie, malgré ses manques d’appas en tant qu'héroïne classique romantique (petite, insignifiante, inexpressive, têtue, maladive) montre un courage, une intelligence et une opiniâtreté enthousiasmantes. Sa ténacité lui permettra de démêler l'écheveau malsain de la Cour où elle devra évoluer, tout en tentant de se créer un début d'une nouvelle vie, résistant de toutes ses forces aux volontés implacables qui l'entourent et tentent de l'annihiler, par l'anéantissement pur et simple ou par le modelage parfait.

    Ce livre est ainsi à mes yeux une parfaite réussite, un "vrai" livre, pas un appétissant phénomène de mode. Par cela même, il peut surprendre son lecteur : il faut donc l'aborder avec un esprit ouvert et le proposer à bon escient.
    Pour commencer je ne pense pas qu'il puisse être apprécié à sa juste valeur par un lecteur en plein "trip" bitlit / dystopie / post-ap. Parmi ces lecteurs, seulement ceux et celles qui apprécient de varier leurs lectures (qui aiment lire ainsi à la fois des romans dans le vent et des classiques, comme "La passe-miroir" mériterait amplement de devenir) seront heureux de découvrir ce roman.
    Heureusement ceux-ci sont bien plus nombreux que l'on ne le pense !
    Ensuite, bien que ce roman ait gagné un prix présenté comme "Jeunesse", avec une tranche large à la Harry Potter, je ne vois pas comment un enfant pourrait l'apprécier : c'est un récit complexe, assez sombre et surtout axé sur des méandres politiques et des manipulations psychologiques réservées à un public adolescent réfléchi et adulte.
    C'est ainsi à mes yeux un typique roman "Young Adult", une catégorie toujours aussi floue que j'adore, pour les merveilles qu'elle nous apporte sans cesse.

    Enfin, je ne comprends pas bien pourquoi un tel livre, présenté par un éditeur aussi prestigieux et médiatisé, ne fait pas plus de bruit.
    Aurais-je manqué quelque chose ?...

     

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