• "The thinking woman's guide (...)" d'Emily Croy Barker

     

     

    Éditeur en VO : Pamela Dorman Books

    Paru le 1 août 2003

    576 pages 

     
     
    J'ai eu un coup de foudre pour ce roman, que JKR aurait pu écrire après Harry Potter, si elle n'avait pas sombré du côté obscur de la justification littéraire.
     

    Le premier argument que je pourrais avancer pour louer les qualités de ce livre est que les deux thèmes traités ne sont pas a priori de ceux qui me donne envie de lire un livre. Bien souvent les romans utilisant ces moteurs m'ennuient, leurs récits m'apparaissent hermétiques, abstraits, oniriques, compliqués, bref, pas enthousiasmants.

    La comparaison avec JKR n'est pas une évidence flagrante. Ce n'est qu'après un bon moment de lecture que je me suis dit que de telles qualités narratives auraient très bien pu être attribuées au génie qui a écrit les six premiers Harry Potter : une narration très souple, un humour à fleur de page, d'excellents personnages, un côté sombre, macabre parfois même, mais jamais insoutenable, une imaginativité superbe, un souci dans les détails de mise en scène de la magie, qu'elle soit spectaculaire ou quotidienne, une facilité d'immersion admirable, une envie de continuer la lecture à l'infini, etc.
    Hélas, JKR a choisi d'essayer de nous montrer qu'elle savait aussi écrire des romans sérieux pour adultes avertis et m'a laissé choir en cours de route comme une vieille chaussette de Lucius Malfoy...
    Mais heureusement Emily Croy Barker était là !

    Il semblerait que certains lecteurs ne soient pas arrivés à s'immerger dans ce livre, ou y avoir trouvé des longueurs : le terme me parait parfaitement inapproprié selon ma définition personnelle. Le roman est long, souvent calme, avec des scènes quotidiennes (qui, loin d'être inutiles, participent autant à la construction progressive du cadre qu'à l'évolution des personnages), mais sa lecture a été pour moi un vrai page turner. Pas de ceux dont les promesses de surprises vous font tourner fébrilement les pages quitte à penser en refermant le livre (le plus souvent en ce qui me concerne) : "oui, c'était pas mal, accrocheur c'est sûr, mais je ne le relirai jamais ni aucun autre des livres de l'auteur", mais de ces lectures merveilleuses qui jamais ne vous lassent.
    En revanche, s'il vous faut beaucoup d'action (de guerroiements, d'échauffourées, d'escarmouches, de poursuite en voiture - ah pourtant il y en a une à dos de, de... enfin de quelque chose), de tension permanente, de douleurs exquises, de personnages immondes, bref, si votre tasse de thé est l'héroic fantasy et rien d'autre, ce livre n'est sans doute pas fait pour vous.

    Techniquement le récit est irréprochable : le rythme est parfait, le style, sobre et littéraire, ponctué de petites réflexions pleines d'humour et de finesse, est un délice à lire ; les personnages sont intelligents, toujours un peu plus, ou un peu moins que le portrait de départ ne le laisserait supposer.
    La tonalité, plutôt positive, étonne par certains partis pris (je ne veux pas spoiler, mais je pense à deux épisodes en particulier qui sautent courageusement à la gorge du lecteur !) ainsi que par sa malléabilité, alors qu'on passe en souplesse d'un état de fait à un autre (vague je sais, mais je ne veux pas gâcher les surprises). La manière de considérer la magie, comme un art demandant du travail, de la passion, de l'acharnement et du sens pratique avant toute chose, est à mes yeux un des grands atouts de ce livre.

    Une des forces de ce roman, clairement de fantasy, est qu'il est manifestement écrit par quelqu'un qui a lu autre chose que de la fantasy avant de prendre sa plume. Le monde magique est classique dans ses grandes lignes, et évoquera bien d'autres lectures aux amateurs du genre. Mais l'art de raconter reste celui d'un auteur qui serait capable de retenir l'attention de son lecteur même sans avoir recours aux charmes indéniables de la fantasy. Les gammes sont connues, et d'ailleurs l'auteur s'amuse avec sa mise en scène, ne dédaignant pas nous envoyer sur de fausses pistes ou nous pousser du coude à l'occasion.

    Ainsi, les lecteurs réguliers de littérature générale reconnaîtront parfois des allusions amusantes (comme celles au roman "Orgueil et Préjugés" de Jane Austen, assez peu fréquentes mais judicieuses, amusantes et aussi sans complexe, l'auteur partant du principe que le lecteur connait ce classique sur le bout des doigts !), des audaces narratives dans la manière de présenter des artifices de romance complètement décalés, et parfois même des clins d’œils malicieux. Ces derniers, d'une désinvolture charmante (comme quand l'héroïne, habillée en mode souillon, arrive à se faire faire des bottes neuves et les contemple toute la journée avec bonheur, du poulailler à la porcherie, en s'extasiant sur la façon, en regrettant de ne pouvoir les porter avec des collants et une mini-jupe, ou encore le moment où le grand magicien semble marmonner de sombre incantations qui ne sont en fait qu'un tombereau de jurons !) pourront peut-être désarçonner le lecteur pur et dur de fantasy, chagriné de voir ce noble genre ainsi taquiné alors qu'il semblait si bien pris au sérieux !

    Pourtant ces notes d'humour ne font pas du roman une satire du genre, loin de là : la richesse du monde est impressionnante, les idées foisonnent (une pensée à Jonathan Stroud de temps en temps), la crédibilité de l'ensemble est excellente.
    Et pour une fois, ô bonheur, l'héroïne n'est pas une gauche jeune fille, une beauté qui s'ignore, incomprise et torturée, qui va apprendre qu'elle a de formidables pouvoirs magiques, qui vont lui permettre de sauver le monde. Non, Nora est une jeune femme de près de trente ans qui se sait plutôt séduisante et qui, même si elle vient d'essuyer une brutale déconvenue à l'ouverture du roman, n'est pas malheureuse dans le monde où elle vit. Elle a souffert une perte dans l'enfance, a du mal à trouver sa voie professionnelle, mais assume plutôt bien tout ça !
    Et, cerise sur le gâteau, elle ne se retrouve pas écrasée par le poids d'une grandiose destinée : c'est elle qui décide, tout simplement, que la magie l'intéresse et qu'elle va l'apprendre, aussi difficile que ce soit.
    Cette partie apprentissage de la magie (soit de quelque chose qui n'existe pas et que l'on ne peut donc pas appréhender) est spectaculairement réussie : le travail acharné, la répétitivité, l'entraînement incessant, l'agacement devant les échecs, les détails amusant (la petite pluie agaçante qui tombe sur Nora, son très inconvénient "tic magique involontaire") et les lectures assidues de vieux livres et parchemins, tout ça sans ennui et avec une authenticité incroyable ! Ça vous rappelle quelque chose ?... Qu'est-ce que je vous disais en préambule !

    Les amatrices de romance dans le sens le plus noble du terme (celles où l'on apprend à connaître vraiment les personnages et où l'on assiste à leur lente progression psychologique) se demanderont sans doute s'il en existe une ou non dans ce roman. Une chose est certaine, c'est qu'il s'agit bien d'une histoire d'amour - une histoire d'amitié pour commencer... et c'est déjà beaucoup.

    Une seule chose me gêne dans ce livre : le choix de couverture et surtout du titre, qui évoque un récit léger, superficiel, façon chicklitt. Pourtant si ce roman est à mon sens très accessible, et à un très large lectorat, il démontre un travail approfondi, celui qui permet de mettre à portée du lecteur un ensemble foisonnant sans douleur aucune. D'ailleurs, il me faut évoquer ici un livre auquel il n'a pas été comparé dans son pays d'origine (et pour cause, il est français !) : La passe-miroir (Livre 1) - Les Fiancés de l'hiver qui, par de nombreux côtés, rejoint l'excellence de ce roman.

    Enfin, si ce livre n'a rien de girlie, c'est tout de même une lecture moderne, assez féministe : Nora sait ce qu'elle veut, n'est pas pudibonde et si elle est assez intelligente pour faire ce qu'il faut quand il faut, retroussant les manches et se mettant à l'ouvrage, elle n'est pas non plus du genre à s'écraser. Et c'est très satisfaisant ! Elle reste une jeune femme moderne, intelligente, travailleuse et pleine de sang-froid. Avec beaucoup de drôlerie l'auteur nous prouve qu'une culture académique peut être utilisée avec brio et sauver la mise ! De plus, Nora n'a pas les petits défauts habituels, elle n'est ni agaçante ni mièvre (elle ne semble pas très sensible au bien-être animal, c’est dire !), c'est un personnage aisé à suivre.

    La fin de ce roman enchanteur ouvre sur une suite qui, j'espère, ne se fera pas trop attendre...
     
     
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