• "Blood song" tome 1 - La voix du sang d'Anthony Ryan

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                       Éditeur en VO : Ace                                       Éditeur en VF : Bragelonne

    Paru le 2/07/2013 (après une auto-édition)                         Paru le 18/06/2014

                             592 pages                                                                672 pages

                                                                                             Traduction : Maxime le Dain

     

    Il est difficile de louer ce livre, pourtant exceptionnel, que je m'apprête à relire une troisième fois, avec dans aucun doute le même plaisir et la même émotion, avant de découvrir le tome 2, "Toxer Lord" qui sort tout juste en VO.

    Le thème de départ sonne comme un classique et rien d’ébouriffant ne vient frapper le lecteur dans ce récit de fantasy, lent sans lenteur, profond sans fioriture et passionnant sans esbroufe.

    De plus, s'il m'avait été succinctement présenté, comme l'apprentissage d'un guerrier dans un monde de fantasy classique et plutôt impitoyable, je n'aurais sans doute pas été tentée de le lire.

    Par chance, je l'ai lu "en aveugle", suite à une recommandation, et cette lecture a été directement propulsée en haut de mon best off, tous genres confondus, événement qui m'a confortée dans ma conviction qu'un livre peut toujours nous surprendre !

    Les premiers notes de ce livre ne peuvent manquer d'évoquer Le Nom du vent de Patrick Rothfuss. Pourtant, il serait dommage de comparer les deux romans, ou alors peut-être comme un exercice développé par deux élèves tout deux brillants mais très différents. Bien sûr, Blood Song n'a pas le panache, la verve et l'insolence du Nom du Vent, mais sous des dehors plus sobres, ce roman possède des qualités intrinsèques de justesse, d'humanité et d'authenticité remarquables.

    Le Nom du Vent m'a charmée, mais Blood Song m'a émue...

    Très curieusement, car les deux livres n'ont presque rien à voir, Blood Song a rejoint dans mon ressenti une lecture ancienne qui m'a beaucoup marquée, l'histoire d'une petite fille donnée en apprentissage de la dentelle, qui subit une enfance tronquée, dédiée à un dur labeur, et qui grandit pour devenir une jeune femme hors du commun : La dentellière d'Alençon. Les qualités de ces deux livres, pour leurs personnages, le déroulé de l'histoire, l'authenticité, la volonté de crédibilité historique, me paraissent très proches, et leurs traitements très similaires malgré toutes leurs disparités.

    Il est très difficile de faire vivre avec crédibilité un personnage parfait, du moins sans avoir recourt à la dérision (ou l'auto-dérision). Pourtant, avec Vaelin, Anthony Ryan réussit ce miracle. Je ne sais pas si plus d'une poignée de personnages, au court de mes lectures, m'ont autant touchée que ce petit garçon, arraché à sa famille sans explications et soumis à la vie impitoyable du Sixième Ordre de la Foi, celui qui dédie ses hommes à la guerre.

    L'auteur a le soin de gratifier son personnage de petites faiblesses : chacun de ses Frères les plus proches excelle dans un domaine où lui n'est que brillant, son cheval est une teigne qui ne s'adoucira jamais, sa gaucherie de jeune homme à l'hygiène basique, lors de son stage au sein de l'ordre des soins, le desservira, etc. De petits détails, qui ne masquent pas l'étendue de ses qualités, mais qui donnent une personnalité attachante à ce personnage pétri de qualités de noblesse.

    Les prémices m'ont inquiétée. L'ambiance de l'école semble excessivement rude, à la limite de la cruauté. Pourtant, très vite on devine que les maîtres, parfois des hommes brisés, et toujours des survivants, n'ont qu'un but alors qu'ils éduquent d'une main souvent brutale les garçons qui leur sont confiés : leur survie à long terme. Et si les enfants l'ignorent, se contentant de se serrer les coudes en profitant des rares avantages de leur condition (une nourriture pléthorique, une appartenance à une confrérie, et enfin l'amitié), le lecteur, tout comme Vaelin (alors qu'il compare les années écoulées au travail de fabrication d'une lame) le comprendront peu à peu :

    "Sollis [un de leurs maîtres] ne s'adoucissait pas ; c'est bien eux qui s'endurcissaient. Ils nous a martelés, comprit-il. Il est notre forgeron."

    On est également surpris de comprendre que ce cadre de vie si fermé qu'il évoque une prison, peut être quitté à tout instant, par souhait du novice ou s'il échoue aux épreuves. Celui-ci est alors raccompagné au dehors, et gratifié de quelques pièces d'or. Cette perspective, d'abord rassurante, devient peu à peu une hantise, alors que les années s'écoulent et que le Sixième Ordre façonne ses Frères, les fidélisant par la dureté même de son enseignement.

    La première partie (après une introduction un peu aride, qui annonce le reste du récit en flash-back - j'ai beaucoup plus apprécié ce court passage lors de ma relecture) dédiée à l'enfance de Vaelin au sein du Sixième Ordre, a le charme des récits initiatiques, avec l'intensité d'un quotidien ponctué d'évènements dramatiques. La personnalité de Vaelin évolue tout en douceur, de celle d'un petit garçon intelligent et sensible à un jeune homme réservé, empathique, déterminé et brillant : les Frères qui survivent à l'intégralité de leur formation au sein de l'Ordre guerrier sont les meilleurs. Il est d'ailleurs très satisfaisant de mesurer régulièrement l'impact de leurs incroyables capacités à travers les réactions de l'entourage extérieur.

    Ce roman a en effet une qualité infiniment romantique : non pas au sens de la romance (quoiqu'il en existe une, se dessinant peu à peu, avec encore ici une justesse, une authenticité et une émotion remarquables) mais au sens fondamental du terme.

    Il est vraiment enthousiasmant de suivre les aventures des jeunes gens, et de Vaelin en particulier, que ce soit dans les petites choses de leur quotidien ou les grandes de leurs exploits. Cette vision intérieure de la naissance d'un héros est très satisfaisante et permet un attachement infaillible au personnage de Vaelin.

    De même, avoir accès aux pensées du jeune homme, alors que celui-ci apparait comme un implacable combattant, austère et effrayant, participe à cette jubilation (curieusement d'une manière très semblable à celle employée dans les délicieuses romances historiques).

    Quant à la vision de sa personne par l'ennemi (celle offerte dans le prologue), elle m'a puissamment évoqué le personnage du père de Miles, dans les premiers livres de l'inoubliable sage Vorkosigan de Loïs McMaster Bujold, alors qu'Aral Vorkosigan est connu sous le nom du "Boucher de Komar"... (La Saga Vorkosigan intégrale, et son premier tome : "Chute libre ; L'honneur des Cordelia ; Barrayar").

    Les amateurs de gloire guerrière seront satisfaits : les actes de bravoure et les combats sont fréquents et ne nous épargnent pas. Pourtant, contrairement à bien des récits de ce genre, le roman ne fait pas l'apologie de la guerre, pas plus que son procès. Tout au long du récit, Vaelin réfléchit à la dualité de sa vocation imposée : défendre les faibles est noble, et il a appris à le faire à la perfection, mais tuer est une abomination, qui le détruit peu à peu. Un point de vue féminin, celui d'une jeune femme appartenant à l'ordre des soins, met régulièrement un contrepoint à cette réflexion en montrant un dévouement opposé : soigner et ne jamais ôter la vie, même indirectement.

    D'une façon plus générale, une réflexion sur l'injustice du destin de ces enfants, façonnés inlassablement et brutalement pour devenir des machines à tuer, est menée tout au long du roman. Bien des Frères n'en sortent pas indemnes, et les profils psychologiques des contemporains de Vaelin, mais aussi de leurs maîtres, en sont l'illustration permanente.

    Cette démonstration m'a pleinement convaincue, là où un classique encensé de tous, "La stratégie Ender", d'Orson Scott Card, m'a déçue au point d'en abandonner la lecture.

    Les personnages sont d'ailleurs tous excellents. Les rapports entre ceux-ci sont tout en finesse, sans aucun raccourci facile, aucun stéréotype, là encore l'authenticité est parfaite. Les psychologies de certains personnages, comme celle du roi, ou de sa fille, sont très subtils, et participent au déroulement d'une histoire complexe mais jamais compliquée.

    Enfin, le contexte "fantasy" est intéressant sans être omniprésent. Il n'apparait que peu à peu, comme toile de fond à la vie de Vaelin, et l'on ne comprend que tardivement comment de nombreuses petites choses disséminées ça et là se lient pour former une intrigue cohérente, qui se forme et se dénoue dans la dernière partie, pour clôturer ce livre et annoncer sa suite.

    J'ai particulièrement apprécié l'idée d'une Foi puissante, fanatique même, sans Dieu : ces croyants croient en l'au-delà et en la puissance des défunts.

    Mais j'aurais failli à ma tâche si je vous laissais entendre que ce roman est sinistre ! S'il est poignant et nous livre une réflexion juste et profonde sur l'art de la guerre, il est également passionnant, distrayant, émouvant et souvent emprunt d'une malice touchante. Par toutes ses qualités, je crois ce livre capable d'unifier les foules, et de plaire à un lectorat très étendu. Je suis ravie de le voir enfin traduit !

     

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